Cathy Lane – The Pickle Jar is her home
Cathy Lane est artiste sonore et anglaise. Ses œuvres prennent la forme de compositions, d’installations ou de pièces radiophoniques. À la tête du laboratoire de recherche londonien CRISAP (Creative Research Into Sound Art Practice), elle a récemment publié un livre, Playing with words : the spoken word in artistic practice, dans lequel elle étudie l’usage de la voix parlée dans l’art contemporain. Le Hub interview Cathy au sujet de son travail The Pickle Jar is her home.
The pickle jar is her home cliquer pour écouter
Le Hub: Hello Cathy ! Aujourd’hui nous aimerions parler de votre composition the pickle jar is her home. Réalisée en 2009 entre la Grande-Bretagne et l’Inde, cette pièce de 10 minutes combine interviews, ambiances sonores et sons de nourriture que l’on coupe, épluche, mixe, bout, grille etc… Quelles ont été les idées à l’origine du projet et comment ce dernier a-t-il vu le jour ?
Cathy Lane: Le projet est né de l’envie d’étudier la nourriture en tant que matière sonore et la relation entre la nourriture et le son, en tant que matériaux qui peuvent être travaillés et transformés. J’étais intriguée par les similarités entre les champs lexicaux du travail du son et celui de la cuisine (i.e couper, hacher mixer, mélanger etc.)
LH: En parallèle des études sonores que vous avez faites des aliments et de leur transformation, les interviews emmènent l’auditeur à la découverte des relations entre la nourriture et les gens qui l’achète, la prépare et la consomme. Pouvez-vous nous parler de cet aspect de votre recherche ?
CL: Au début de ma recherche, j’ai réalisé de nombreux enregistrements en rapport à la nourriture elle-même: où les denrées poussent, où les produits sont achetés, où les plats sont consommés. En parallèle, je me suis intéressée aux rapports des gens avec la nourriture, et plus précisément à la relation individuelle d’une personne à ce qu’elle mange. J’ai interrogé les gens sur leurs souvenirs liés à la cuisine: quelles recettes leur rappellent l’enfance, quels sont les plats qu’ils aiment cuisiner etc.
Les questions en rapport aux plats qui rappellent l’enfance ont mené à des discussions très intéressantes d’un point de vue socio-économique. Qui cuisinait ? Où et quand cuisinait-on ? Quel genre de recettes ? Les réponses en disaient long sur l’époque, le lieu, la classe sociale dans laquelle la personne avait grandi.
J’ai également exploré la dimension historique de la nourriture. Cette dernière a toujours été un élément central de la politique globale. J’ai étudié en particulier la cas du poivre. Il y a cinq cent ans, cette épice était l’une des choses les plus précieuses au monde! Ma recherche s’est progressivement étendue aux relations entre pays, et en particulier aux liens historiques entre l’Inde et la Grande-Bretagne.
LH: Partant du son d’un pot de cornichon, The pickle jar is her home (Le pot de cornichon est sa maison) s’est donc transformé en voyage à travers l’espace et le temps ! Pouvez-nous en dire plus sur le titre ?
CL: The pickle jar is her home étudie en quoi la nourriture participe à l’idée d’un « chez soi ». Le titre de ma pièce a été inspiré par mon amie Maggie qui, à l’époque, n’avait pas vraiment de chez elle (rires). Elle trimballait partout un grand pot de cornichons qu’elle installait là où elle emménageait temporairement. Tant qu’elle l’avait avec elle, je pense qu’elle se sentait « à la maison ». Le pot de cornichon était pour elle le symbole du «chez soi ».
LH: Votre composition est accompagnée d’un livre. Est-ce une forme que vous aviez envisagée dès le début du projet ?
CL: C’est la première fois que j’accompagnais mes sons d’autre chose. Cela a été une décision difficile à prendre : j’estime que les sons doivent parler d’eux-mêmes ! Le problème est qu’ils ne disent pas toujours ce que vous vouliez exprimer… Dans le cas de the pickle jar is her home, le travail devait à l’origine être une simple étude des qualités sonores de la nourriture. Comme je l’expliquais, ma recherche s’est rapidement étendue. Le livre m’a permis de la présenter dans toute son ampleur.
LH: Le livre est plus qu’une simple transcription de l’audio. En fait, il est très rare qu’une phrase entendue dans la pièce se retrouve dans le livre. Quelle est la relation entre le livre et…ce que l’on écoute en l’ouvrant ?
CL: Je voulais que ma recherche soit présentée de manière abstraite plutôt que documentaire. Le livre contient des photographies ainsi que des bribes de conversations que j’ai pu avoir avec les personnes que j’ai rencontrées. Il est non linéaire et a été conçu comme un accessoire, une sorte d’appendice de la pièce sonore. The pickle jar is her home est souvent exposé sous la forme d’une installation, où le visiteur peut parcourir le livre tout en écoutant les sons.
LH: En quoi le fait d’avoir été construit autour de deux pays, l’Inde et la Grande-Bretagne, était-il essentiel au projet ?
CL: Je ne pense pas que c’était essentiel… J’ai eu la chance de me voir offrir la possibilité de travailler en Inde pour une courte période : le projet avait déjà commencé en Angleterre et je l’ai simplement continué en Inde, ce qui lui a fait prendre une tournure complètement différente. L’histoire de l’Inde et de la Grande-Bretagne sont étroitement liées. Leur relation peut être explorée à travers les traces de l’influence coloniale sur les recettes indiennes et réciproquement, à travers la grande popularité de la cuisine indienne en Angleterre.
Ces deux lieux ont aussi offert à l’oeuvre un intéressant contraste. Nombre des batailles qui ont déjà été perdues en Europe entre petits producteurs et géants de l’agro-alimentaire ne font que commencer en Inde. Le sous-continent a jusqu’à présent réussi à résister à la globalisation de l’alimentaire, au développement des fast-foods, et a su conserver la diversité de sa cuisine. Contrairement à la Grande-Bretagne par exemple.
LH: Dans votre composition certains sons sont répétés plusieurs fois, à la manière de samples de musique électronique. D’un côté, je pense à un restaurant et à la beauté des gestes du cuisinier qui se répètent et s’embellissent chaque jour, de l’autre aux fast-foods et à l’expérience qui se répète d’un restaurant à l’autre.
CL: Un des restaurateurs que j’ai rencontré à Bangalore me disait que depuis 1943, il préparait à ces clients le même plat tous les dimanche. Les habitués, certains âgés de plus de 80 ans, s’y rendent pour déguster cette recette spéciale du sud du pays, que personne n’a plus le temps de faire…même en Inde. La répétition peut parfois être négative, et parfois positive. Ceci est un exemple de répétition positive il me semble !
LH: Comment décririez-vous la différence entre les sons d’une cuisine en Inde et les sons d’une cuisine en Grande-Bretagne ?
CL: Beaucoup de cuisines indiennes fonctionnent au moyen de bouteilles de gaz, ont des surfaces de travail en marbre et des casseroles en aluminium. Ces trois éléments dominent l’ambiance sonore. Il y a beaucoup plus de rythmes faits des aliments que l’on malaxe et martèle en Inde ! Sûrement plus de friture aussi…et d’épices comme la graine de moutarde qui crépite !
LH: Pour finir, quels sont vos projets futures ? Du pain sur la planche ?
CL: Oui beaucoup ! Je travaille en particulier sur un projet qui, une fois de plus, m’amène à retracer les liens entre l’Inde et l’Angleterre. Cette fois je suis le voyage de femmes indiennes employées comme domestiques, qui à l’époque coloniale accompagnaient les familles jusqu’en Angleterre et étaient laissées pour compte à Londres avant de pouvoir trouver une solution pour rentrer. À plus courts termes, je suis en train de construire une sculpture immersive qui sera installée dans un parc pour le Camberwell Arts Festival à Londres.
Pour plus de renseignements sur Cathy et le CRISAP: http://www.crisap.org/